Stigmatisation vue de l’intérieur Témoignage de Lucie Boissinot dans le cadre de la journée de sensibilisation
à la détection et au traitement précoce des premières psychoses.
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Le pire des maux en ce qui me concerne, c’est la maladie et non la
Lorsque mon fils est tombé malade, il m’a été très difficile de réaliser ce qui
lui arrivait. Je n’avais jamais été en contact avec la maladie mentale grave
et j’avais nourri comme bien des gens une peur fantasmatique de cette
réalité occultée, romancée ou encore démontrée de manière spectaculaire
par le biais de film d’épouvante ou de roman policiers.
D’autre part, j’adorais la chanson de Diane Dufresne intitulée Le parc
Belmont. À chaque fois que la Diva chantait cette chanson, les gens criaient
d’admiration et acquiesçaient tacitement ; ils semblaient comprendre et
aimer se faire parler de la tragédie qu’elle raconte au JE. El e me faisait
frémir et parlait déjà de stigmatisation de l’intérieure.
Maintenant que mon fils a 25 ans et qu’il souffre plus intensément que je
ne croyais qu’il était possible, et ce, depuis l’âge de 17 ans, j’écoute cette
El e pressentait la souffrance et l’insignifiance que le psychotique subit,
coincé qu’il est entre ses multiples réalités, ses perceptions intuitives et son
désir profond de changer le monde dans le dessein de son absolu, de son
idéal. Accepter sa folie comme une maladie est un pas très difficile à faire
Il y a des jours où ils oublient qui ils sont et où ils sont. Leurs vérités se
confondent. Ils souffrent si intensément qu’ils peuvent demeurer inertes
pendant des heures. Le mouvement se passe dans leur tête qui va trop vite.
Il n’existe que dans leur tête qui va trop vite et leur cœur bat à tout rompre.
Beaucoup trop vite ! Fulgurante rapidité !
Il faut interrompre leur voyage dans la nuit.
Ils sont souvent prêts à se lancer dans le vide, à se tirer par la fenêtre pour
avoir des réponses. Non pas pour mourir, mais pour comprendre ce qu’il
leur est demandé. Ils sont parfois si habités qu’ils ne reconnaissent pas les
membres de leurs famil es les soupçonnant de ne pas être réels. Ils sont aux
prises avec un problème complexe et insolvable qu’ils tâchent de résoudre
de seconde en seconde malgré les circonvolutions irrationnel es de leur
Pour avoir parlé quotidiennement pendant presque 8 ans avec mon fils
psychotique, je suis maintenant à la fois immensément riche et
prématurément vieil ie. Voilà le premier stigmate auquel je pense. Il est en
moi. L’amour est plus fort que la mort.
Faisant face à la maladie, j’ai ressenti relativement tôt un ardent désir de
me battre. Il m’est venu de l’intérieur, je crois. Il m’est venu tranquil ement,
prenant sa source en l’amour je crois. À distance, j’estime que me voyant
sombrer avec ce fils adoré, j’ai été forcée de décider de survivre à cette
J’ai décidé de me tenir debout. Pourquoi ? Certainement pour pouvoir
prendre soin de lui et de sa sœur. Un puissant désir d’être lucide et de
composer avec la réalité. Un élan me portait à décider de composer avec la
vie telle qu’elle est : imparfaite et défiante.
Je vous jure qu’au cours de ces 8 ans, j’ai été heureuse. Je vous jure que j’ai
goûté les joies que nous nous sommes procurées au quotidien. Je vous jure
que cet être, tout imparfait qu’il soit, m’a appris sur la batail e qu’il nous
faut mener pour vivre, et que malgré toute l’énergie qu’il nous a fal u
déployer pour comprendre et appuyer celui qui était si nécessiteux, rien ne
me ferait changer de chemin si le choix m’en était donné.
Nous vivons une vie différente certes, mais c’est une vie.
Au début, je ne parlais que très peu de ce qui arrivait à mon fils. J’étais
estomaquée, sidérée. Il me semblait que j’avais besoin de temps pour
digérer les évènements. J’étais plongée dans une perpétuelle réflexion. Je
réfléchissais en me levant le matin, en marchant, en mangeant, en prenant
soin du reste, en me rendant à l’hôpital tous les jours…en autobus, en
métro. En revenant de l’hôpital, je croupissais. Je mangeais pour survivre et
je buvais du vin pour dénouer les nœuds en roches dans ma poitrine. Et
juste avant ma petite nuit, je pensais encore. Beaucoup de secondes, de
minutes et d’heures se sont consumées en torpeur.
Puis, petit à petit, je demandais au premier concerné, mon fils, s’il
accepterait que j’en parle à un, puis à un autre. Nous avons d’abord choisi
très parcimonieusement les individus devant qui nous al ions ouvrir la boîte
de Pandore. Nos filtres étaient instinctifs. Parler d’abords à ceux qui ne
seraient peut-être pas enclins au jugement.
Petit à petit, au fil de confidences calculées, nous nous sommes tissé un
filet de sécurité constitué de nos proches, envers lesquels nous avons
toujours été le plus honnêtes possible. Ce fût une lente et progressive
entreprise qui nous a permis de construire graine à graine, des relations de
À partir du moment où nous avons parlé, nous nous sommes rendu compte
que bien que nous anticipions des réactions fortes et inculpantes, nous
étions généralement accueil is avec compassion.
Il y avait des moments troubles certes, mais somme toute, nous nous
sentions écoutés avec attention par ceux à qui nous confi ons cette
tragique épopée. Notre peur d’être jugés faisait place au soulagement
Comme en toute circonstance, certains se sont montrés plus hardis que
d’autres devant l’adversité et ceux-là se sont portés volontaires, désirant
être partisans de notre survie au quotidien.
Nous ne connaissons pas quels jugements tous ceux à qui nous avons
dévoilé ce vécu ont portés, mais ce qui compte à nos yeux aujourd’hui, c’est
d’avoir parlé de la vérité. Cela a porté fruits. Je n’ai pas vraiment porté
attention à ceux qui ne nous rappelaient pas.
Mon fils a passé un long moment à l’hôpital. Un temps assez long pour se
transformer physiquement de manière à ce que personne ne le reconnaisse
en sortant. Mon fils a pris son corps d’homme entre les murs de l’hôpital.
Au moment où il était entré, il avait plusieurs amis et parlait à tout le
monde. Il faisait du théâtre et de la musique, il sortait, il était bril ant à
l’école, il avait de l’esprit, il aimait la fête, il avait été livreur à bicyclette
pour le dépanneur du coin, il avait eu des jobs d’été, il avait fréquenté des
camps de vacances, il jouait au soccer, il était à la recherche de son look, il
était champion de aqui, il adorait la musique et les Patriotes, il dessinait
comme un Dieu, il avait des AMIS, il avait 17 ans.
Mais, en dedans, il ne désirait voir personne. Ou bien serait-ce qu’il ne
voulait pas être vu par eux ? Très peu ont tenté d’entrer en contact avec lui.
Très peu ont tenté de le joindre ou de le voir. Il avait eu une crise majeure
au cégep. La nouvel e s’était répandue comme une traînée de poudre…
J’ai cru et je persiste à croire que les jeunes avaient peur.
Il reste dans la vie de mon fils, quelques amis d’avant…plus ou moins fidèles
et qu’on peut compter sur les doigts d’une main. Mais il y a autre chose ?!.
Comme la vie est compliquée et que l’angoisse peut survenir inopinément,
il est plus simple de rester seul. Comme on ne sait jamais si les nerfs vont
tenir le coup, il vaut mieux rester seul. Comme les idées ne sont pas
toujours claires et qu’on ne pourra pas se détendre en fumant du pot, il
Il y a tant à penser, tant à résoudre entre ses deux oreil es.
Cela entraîne une grande souffrance. Paradoxalement, ça va moins bien
lorsqu’il est seul. Il se rend compte qu’il a besoin de la présence des autres.
Mais les autres sont à l’école ou au travail. Alors, il attend que la famil e
revienne à la maison pour enfin respirer ; sain et sauf. Sauvé de ses démons
Vivement la nuit ! La sombre et douce couvrira tous nos maux, à l’abri de la
lumière. Nous nous reposerons jusqu’à la batail e du lendemain. Nous
pourrons reposer enfin éloignés de nos cerveaux.
Un autre stigmate : la profonde solitude de ceux qui souffrent.
Il faudra faire un homme de toi mon fils. Tu devras être apte à gagner ta
À la suite de son hospitalisation, mon fils a repris ses études. Ne me
demandez pas comment il a ramassé le courage nécessaire pour retourner
sur les lieux où il avait perdu la tête ?! Il s’y est pris à trois reprises pour
À la suite de maintes batteries de tests, les médecins avaient pu affirmer
avec conviction que malgré la fulgurance des attaques successives qu’il
avait subies, le cerveau de mon fils, et plus précisément la matière grise, ne
portait aucune tache mais encore…, qu’il possédait toujours, envers et
contre tous, une intelligence nettement supérieure à la moyenne…
À trois reprises, il s’est traîné sur les bancs d’école voyant ceux qui
l’entouraient rajeunir à vue d’œil. Il passait des heures pénibles à essayer
de survivre à la nécessité de rester en place et d’écouter. L’école était
devenue un supplice, une contention, un chapelet de connaissances
restituées et déjà assimilées depuis longtemps. Le mal-être toujours
proéminent, la connaissance au second plan. Son API a été merveil euse ; il
Il n’a pas réussi à se rendre à la ligne d’arrivée.
Au demeurant, je dois avouer que mon fils est une des personnes à la
conversation la plus riche, profonde et intéressante que je connaisse. Il est
cultivé et lucide. Il développe des points de vue sur tout ce qui l’intéresse. Il
cherche et creuse lorsqu’il désire obtenir des réponses à ses questions. Il
accueil e et sait écouter. Sa sensibilité exacerbée lui confère des qualités de
compassion exceptionnel es. Il comprend et est clairvoyant. Il est proche
des enfants et des vieux. Sa grand-mère est sa meil eure amie.
J’espère souvent que ses qualités de cœur et d’esprit pourront l’aider à
gagner sa vie. En fait, je souhaite qu’il trouve un emploi qui mette à profit
ce creuset tout aussi valable à mes yeux que tous les diplômes du monde.
Mon fils a eu plusieurs emplois. En entrevue, il performe. Il sait écrire
parfaitement et il produit des lettres d’introduction bien ficelée et en lien
avec l’emploi qu’il convoite. Il obtient facilement les postes pour lesquels il
postule. Il a souvent eu des emplois au service à la clientèle, comme
employé dans un écho centre, comme placier pour le Cirque du Soleil,
comme testeur ou programmeur de jeux vidéo, comme commis aux
réparations dans une entreprise d’ordinateurs. Il ne s’est jamais fait mettre
Il s’est plutôt expulsé de l’arène lui-même, fois après fois. Au bout d’un
certain moment, ses angoisses devenaient omniprésentes, il figeait sur
place au moment de partir travail er, il appelait pour signaler son absence,
invoquant différents maux. Souvent, lorsqu’il était en confiance, il a dit la
vérité et a fini par se retirer afin de respirer loin de toute obligation.
Ce fils n’est pas quelqu’un dont on constate le mal-être à l’œil nu. Malgré
que parfois il se sente très mal, les signes ne sont pas facilement
dépistables, sauf peut-être pour ses proches. Il s’en demande beaucoup.
Il me dit parfois que le jugement des autres n’est pas palpable pour lui ;
qu’il n’a pas été offensé par ses employeurs ou connaissances. Ce qui l’est
toutefois, c’est l’idée qu’il se fait du jugement que les autres pourraient
porter sur lui. La peur de l’éventuel jugement que l’on pourrait porter.
Cette peur du jugement ou ce profond désir de ne pas risquer d’être
débusqué et jugé, le porte à se retirer. Je crois que ce processus intérieur
est assez puissant pour l’empêcher de réaliser des choses qui lui sont
accessibles, qui le rendraient heureux ou à tout le moins participeraient à
renforcer l’estime vacil ante qu’il a de lui-même.
C’est dur de ne pas savoir à quel moment le sol s’ouvrira sous nos pieds,
quand les nerfs se tendront à tout rompre et ainsi prendre le dessus sur
tout, ou quand la réalité risquera de devenir double ou que les idées se
bousculeront à toute vitesse dans sa tête. C’est doublement dur de se
présenter à ses rendez-vous de travail, d’amitié, de famil e, de loisir…et de
Il lui faut jour après jour amasser beaucoup de courage afin d’al er dans la
Ce courage, il s’attarde à le bâtir. Sa constante quête de mieux-être l’amène
à s’armer, grâce à différentes démarches de connaissance personnel e, face
la vie comme la vivent les bien portants. Cette quête est au centre de ses
préoccupations. Une fascination. Cette quête lui a permis de tisser des liens
fidèles avec des personnes à qui il a demandé l’appui. Il s’est de la sorte
tissé un autre filet de sécurité à l’extérieur du premier qui s’était construit
essentiel ement d’un tissu d’amour véritable et de compassion, mais aussi
Il a besoin de beaucoup d’appui. Il part en quête d’appui.
MAIS……….La question à 1 mil ion de dol ars… La question qui tue… la
Est-ce qu’il prend des médicaments ??
Les noms propres défilent rapidement dans ma tête : Risperdal, Lithium,
Haldol, Ativan, Seroquel, Effexor, Xanax, Prozac, Valium, Zyprexa, Celexa,
Le regard des gens change!…………Onhhhh…c’est sérieux.
Et là, on entreprend une démarche d’éducation populaire sur la chimie du
cerveau et on compare la maladie mentale avec le cancer, le diabète, les
maladies cardiaques, toutes les maladies de corps y passent…on produit
spontanément quantité d’exemple probant qui démontrent que la
médication aide le malade et traite les symptômes de la maladie.
Dites-moi pourquoi il faut s’enhardir d’une tel e érudition pour démontrer
que ces médicaments sont utiles et non les témoins d’un grand mal occulté
À cet égard, j’estime que le travail qui reste à faire est colossal ! Pour tous :
Pour le patient qui ne s’estime pas malade avant de l’avoir réalisé, ce
Pour le parent qui se demande si toute cette chimie transformera son
enfant en monstre et qui, bien que sceptique, écoute les médecins
aveuglément dans l’espoir de retrouver son enfant intègre et comme avant.
Pour l’entourage qui fait des recherches sur Internet pour accumuler
tous les effets secondaires possibles en un creuset monstrueux et
Pour le commun des mortels qui vous regarde comme un
Il prend du Lithium !!!! C’est de ça que Jim Morrison parlait dans sa
Il juge d’un coup sec le commun des mortels. Le couperet est tombé… C’est
La pharmacopée suscite énormément de controverse. Il est certain que le
chemin vers le dosage idéal est un chemin relativement empirique et qu’il
exigera de tous, une patience exemplaire. Il faudra beaucoup d’essais et
erreurs avant d’en arriver à un cocktail satisfaisant.
Mon père m’a souvent dit, même bien avant que son petit fils ne tombe
malade, que le temps arrange bien les choses, que le temps est un grand
J’ai eu la preuve qu’il est important d’être patient. Il est important de
s’abandonner et de faire confiance à la science, un tant soit peu, tout
Car, au bout d’un temps qui m’a paru interminable, j’ai pu constater que la
médication aide véritablement. Mon fils vous dira qu’à un moment précis
de son horrible parcourt il a décidé de guérir et qu’il est le principal
responsable de sa guérison, mais je suis tentée de croire que la médication
a eu un rôle très important à jouer dans cette guérison ; tentée de croire
aussi que la combinaison de la démarche cognitive al iée à la médication est
Ce qui me rassure à l’heure qu’il est pour tous ceux qui souffrent, c’est que
plusieurs chercheurs se penchent encore sur le cerveau. Je me souviens
souvent du temps où mes parents parlaient du cancer du bout des lèvres
comme d’un mal insondable et qu’il fal ait taire.
Je dois dire que pour le premier concerné c’est-à-dire le PATIENT, ou celui
qui doit ingérer de 10 à 20 comprimés par jour, cette réalité est dure à
avaler. Il s’agit pour lui, d’un véritable acte de foi mainte et mainte fois
Et qu’avec le mal être qui s’infiltre malgré la prise des médicaments, vient
un temps où il décide de s’en passer. Il tente de vérifier l’incidence réelle de
la médication sur son cerveau. Il tente de son propre chef de se sentir
vivant et fonctionnel. Il désire avoir la liberté d’un jeune homme de 20 ans,
ce qu’il est. Il se sent guerrier et part en quête de sa propre intégrité. Il
désire avoir une blonde. Il désire être GUÉRI !!!!!!
C’est révoltant ! Jeune, beau, la vie à vivre. Vivre !!! Intègre et comme tout
le monde. C’est un cri très fort. Profond et louable.
Mais sans les médicaments, il s’enfonce, il décompense et les souffrances
reviennent avec une force décuplée. Décuplée parce qu’empreinte de la
peur de sombrer, de retourner à l’hôpital, de ne plus revenir. PEUR et
Je remercie mes parents et amis qui ont été fidèles et diligents.
Je remercie du fond du cœur toute l’équipe visionnaire de JAP et
mentionner en particulier le docteur BAKI sans laquel e nous aurions tous
Je désire rendre hommage à mon fils qui m’a appris sur la vie au fil de nos
épreuves partagée plus que quiconque et je le salue pour son courage et sa
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